Et si on amenait les élèves à discuter, à analyser et à négocier en grammaire ?
Introduction
Comme orthopédagogue, il m’est souvent arrivé de constater que les élèves faisant beaucoup d’erreurs orthographiques grammaticales dans leurs productions écrites, réfléchissaient peu en écrivant et se posaient peu de questions. Par contre, ces élèves parvenaient assez bien à mobiliser les différentes règles dans des exercices décontextualisés. Dans leurs textes, toutefois, je remarquais que le transfert de leurs connaissances ne s’effectuait pas.
Par la mise en place de dictées métacognitives, il est possible d’améliorer les habiletés de réflexion et d’analyse des élèves.
Cet article permet de répondre aux trois questions suivantes : Qu’est-ce qu’une dictée innovante ? Pourquoi devrais-je mettre en place des dictées innovantes dans ma pratique ? Comment les mettre en place ?
Qu’est-ce qu’une dictée innovante ?
Les dictées innovantes, parfois aussi appelées dictées métacognitives ou dictées interactives, visent à ce que les élèves discutent des stratégies orthographiques déployées pour résoudre un problème orthographique (Cogis, Fisher et Nadeau, 2015; Fisher, Huneault et Nadeau, 2015). Il existe plusieurs types de dictées métacognitives. Actuellement, les plus connues et utilisées dans les classes du primaire et du secondaire au Québec sont la dictée 0 faute, la dictée phrase du jour et l’atelier de négociation graphique (ANG).
Bien qu’il existe plusieurs types de dictées innovantes, les intentions visées par celles-ci sont similaires. Les dictées innovantes visent à ce que les élèves coconstruisent des apprentissages en orthographe par une discussion avec leurs pairs avec l’aide de l’enseignant. Les élèves occupent une posture de « chercheurs », car ils doivent trouver une solution à un problème orthographique dont la solution n’est pas immédiatement disponible (Bonnal, 2015; Parent, 2023). L’objectif des dictées innovantes est d’amener les élèves à analyser la langue, mais également à acquérir un meilleur métalangage grammatical. Le rôle de la personne enseignante est primordial afin de favoriser le développement de leurs habiletés de réflexion et d’analyse. Elle doit être à l’écoute des élèves, reformuler leur propos, les clarifier ou leur poser les bonnes questions, afin de faire évoluer leur réflexion plutôt que de la court-circuiter (Parent, 2023).
Pourquoi mettre en place des dictées innovantes dans ma pratique ?
Il est maintenant reconnu que les dictées innovantes ont des effets positifs sur la performance orthographique des élèves. Peu importe le type de dictée que l’on choisit de mettre en place dans sa pratique enseignante, l’important est d’amener les élèves à échanger avec leurs pairs autour de l’orthographe grammaticale d’une situation problème. Il ne faut surtout pas sous-estimer le rôle important du langage oral dans le développement des compétences des élèves, notamment en orthographe grammaticale. L’oral est souvent travaillé de façon indépendante à l’écriture alors que des ponts devraient être plus souvent créés entre ces deux sphères. Cogis (2020) disait d’ailleurs : « C’est par le langage que les conceptions se dévoilent et, par le langage encore, dans les interactions, qu’elles se travaillent et se modifient ».
Les dictées innovantes sont, de surcroit, très intéressantes pour améliorer les habiletés d’analyse des élèves et leur métalangage grammatical. Des études ont relevé que les élèves plus performants en orthographe grammaticale étaient également ceux qui faisaient une meilleure analyse syntaxique en identifiant, par exemple, la classe grammaticale des mots dans le groupe du nom (Boivin et Pinsonneault, 2018; Nadeau et Fisher, 2009). Or, il est loin d’être évident, pour les élèves, de développer ces habiletés d’analyse sur la langue. Ceux-ci doivent être accompagnés et soutenus afin de parvenir à voir la langue comme un système logique et cohérent. En soumettant différents problèmes orthographiques aux élèves, on les amène à s’interroger sur certaines conceptions qu’ils continuent d’entretenir à propos de l’orthographe grammaticale. Certains élèves, par exemple, peuvent se cantonner dans une approche sémantique afin d’identifier la classe grammaticale des mots, même si des manipulations syntaxiques leur sont enseignées. Il est important, à ce moment, d’identifier cette conception et d’amener les élèves à la remettre en question en leur dictant une phrase où la stratégie qu’ils utilisent s’avèrera inefficace.
Comment améliorer les habiletés orthographiques grammaticales des élèves en utilisant des dictées innovantes ?
Bien que les dictées innovantes soient généralement connues des enseignants, celles-ci ayant fait l’objet de plusieurs recherches au cours des dernières années, je remarque qu’elles ne sont pas toujours utilisées à leur plein potentiel afin de réellement permettre le développement des habiletés orthographiques grammaticales des élèves. Je me suis entre autres intéressée, dans le cadre de ma recherche doctorale (Parent, 2023), aux conditions favorables afin de favoriser le développement de la réflexion métalinguistique d’élèves participant à des ateliers de négociation de l’orthographe. Je me permets donc de vous donner quelques conseils afin d’instaurer des dictées métacognitives dans votre pratique enseignante et de maximiser leur potentiel pour l’apprentissage.
Lorsque les dictées innovantes sont toujours réalisées en groupe-classe, cela peut faire en sorte que ce soit toujours les mêmes élèves qui participent aux discussions grammaticales : ceux qui réfléchissent plus rapidement ou qui possèdent davantage d’habiletés grammaticales. Même si les élèves plus performants offrent un modèle aux autres élèves, il est important que tous puissent participer et discuter autour des problèmes orthographiques. En outre, les élèves d’une même classe ne se situent pas tous au même niveau d’apprentissage. Il peut donc s’avérer intéressant de créer des sous-groupes d’élèves ayant des besoins similaires (les ANG permettent, notamment, des discussions en sous-groupe). Les élèves peuvent également être placés en équipe de deux lors d’une dictée ou lors de l’écriture d’un texte. Ils doivent alors négocier entre eux afin de faire des choix orthographiques grammaticaux.
Si on souhaite améliorer les habiletés orthographiques grammaticales des élèves par la discussion, il est important de les outiller adéquatement afin qu’ils développent des habiletés communicationnelles. L’une de ces habiletés, souvent négligée, est l’écoute active. Lorsque les élèves échangent entre eux à propos de leurs stratégies, ils doivent être en mesure d’écouter les autres. Bien écouter, c’est également être capable de renchérir adéquatement aux propos d’une autre personne. L’idée est de créer une véritable communauté d’apprenants qui discutent autour d’un problème orthographique. Pour y arriver, il est important de faire plusieurs modélisations avec les élèves, de faire des retours avec eux sur les bons coups ou les moins bons coups et d’enseigner de façon systématique des habiletés communicationnelles. Des habiletés de négociation peuvent également être enseignées. Comment parvient-on à convaincre une autre personne que son argument devrait être retenu ? Comment formule-t-on un argument orthographique convaincant ? En enseignant des stratégies communicationnelles aux élèves, et en leur offrant plusieurs occasions de pratique, ceux-ci deviendront de plus en plus habiles à discuter avec les autres afin de « construire » des apprentissages.
Comme je l’ai mentionné précédemment, les dictées innovantes visent à créer des interactions entre les élèves autour d’un problème orthographique. Or, pour qu’il y ait un problème orthographique, soit une situation qui fera en sorte que l’élève remettra en question ses stratégies et décidera de les faire évoluer, il est nécessaire de bien connaitre ses forces et ses difficultés. Les entretiens métalinguistiques sont des occasions privilégiées où l’enseignant peut être à l’écoute de ses élèves, les questionner et mieux comprendre les stratégies orthographiques qu’ils déploient. Bien qu’il ne soit pas toujours évident de trouver du temps pour rencontrer les élèves de façon individuelle, il est important de le faire à certains moments, même si c’est sur le coin d’une table, de façon plus ou moins formelle. En discutant trois ou quatre minutes avec un élève, il est possible de mieux cerner sa compréhension du système grammatical afin de l’amener plus loin par la suite. Ces trois ou quatre minutes font toute la différence, je vous le garantis !
Le dernier conseil concerne la posture que l’on adopte concernant les erreurs orthographiques. Les dictées innovantes sont des occasions privilégiées de dédramatiser l’erreur auprès des élèves. Dans ma pratique, j’ai trop souvent vu des élèves qui, paralysés par l’erreur, n’osent pas prendre de risque en écriture de peur de se tromper et de faire des erreurs. Il est important de prendre les élèves pour ce qu’ils sont : des apprentis scripteurs qui tentent de s’approprier les conventions orthographiques. Lorsque j’ai commencé des ateliers de négociation avec mes élèves, j’ai été surprise de constater à quel point ils ne voulaient pas montrer leurs erreurs. Les erreurs commises, lors des dictées métacognitives, sont normales, et elles sont même le moteur de nouveaux apprentissages. Les élèves doivent comprendre que ce n’est pas la graphie fautive qui nous intéresse, mais bien le processus qui a mené à l’erreur. Les erreurs ne doivent pas être cachées, au risque de contaminer les autres élèves. Elles doivent plutôt être exposées, et c’est en amenant les élèves de la classe à discuter à partir de celles-ci qu’ils parviendront à les surmonter. Astolfi (2014) disait d’ailleurs, dans son ouvrage L’erreur, un outil pour enseigner : « Vos erreurs m’intéressent ! ».
Consultez notre formulaire Comment poser une question durant la dictée zéro faute
Pour aller plus loin
- https://rire.ctreq.qc.ca/dictees_innovantes/
- https://frq.gouv.qc.ca/histoire-et-rapport/experimentation-de-dispositifs-didactiques-en-syntaxe-et-en-ponctuation-a-la-maniere-des-dictees-metacognitives-et-interactives-au-3e-cycle-primaire-et-1er-cycle-secondaire-et-effet-sur/
- https://www.ctreq.qc.ca/wp-content/uploads/2020/04/CTREQ-MEES-Orthographier-VF.pdf
- Brissaud, C. et Cogis, D. (2011). Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ? Hatier.
- Cogis, D. (2005). Enseigner et apprendre l’orthographe : nouveaux enjeux, pratiques nouvelles, école-collège. Paris : Delagrave.
- Parent, J. et Boutin, JF (à paraitre). Les ateliers de négociation pour enseigner et apprendre l’orthographe grammaticale. Chenelière éducation.
- Thériault, S. et Allaire, S. (2022). Susciter le plaisir d’écrire au primaire. Université du Québec à Chicoutimi — Équipe FRQ-SC sur le partenariat recherche-pratique en éducation.
- Astolfi, J.-P. (2014). L’erreur, un outil pour enseigner. (11e éd.) Issy-les-Moulineaux : ESF.
- Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2018). Les erreurs de syntaxe, d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale des élèves québécois en contexte de production écrite. Revue canadienne de linguistique appliquée, 21(1), 43-70. doi : https://doi.org/10.7202/1050810ar
- Bonnal, K. (2015). Enseigner l’accord sujet-verbe grâce à une modalité de travail fréquente dans les pratiques : la phrase dictée du jour. Description et analyse d’une séance filmée sur la mise en œuvre de cette activité dans six classes de fin d’école primaire. Les dossiers des sciences de l’éducation(41), 155-174. doi : https://doi.org/10.4000/dse.3606
- Cogis, D. (2020). Ce qu’apportent les interactions verbales à l’acquisition de l’orthographe grammaticale. Recherche en éducation, 40, 44-59. doi : 10.4000/ree.445
- Cogis, D., Fisher, C. et Nadeau, M. (2015). Quand la dictée devient un dispositif d’apprentissage. Revue de sociolinguistique en ligne(26), 69-91.
- Fisher, C., Huneault, M. et Nadeau, M. (2015). La « dictée 0 faute » et la « phrase dictée du jour » : un début de solution aux difficultés en orthographe grammaticale. Correspondance, 21(1), 1-11.
- Nadeau, M. et Fisher, C. (2009). Faut-il des connaissances explicites en grammaire pour réussir les accords en français écrit ? Résultats d’élèves de 6e année du primaire. Dans J. Dolz & C. Simard (dir.), Pratiques d’enseignement grammatical : points de vue de l’enseignant et de l’élève. Collection : Recherches en didactique du français. AIRDF (p. 209-229). Québec : Presses de l’Université Laval.
- Parent, J. (2023). Développement d’un dispositif de négociation morphosyntaxique visant l’amélioration de la réflexion métalinguistique d’élèves du 3e cycle du primaire en contexte d’orthopédagogie. (Thèse de doctorat inédite, Université du Québec à Rimouski)
Un peu plus sur l'autrice
Josianne Parent détient un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Rimouski (Lévis). Elle a été orthopédagogue pendant 10 ans en milieu scolaire, puis dans une clinique multidisciplinaire. Elle est maintenant chargée de cours en milieu universitaire, consultante et formatrice en pédagogie ainsi que professionnelle de recherche. Dans ses travaux de recherche, elle s’intéresse aux approches innovantes et multimodales liées à l’enseignement-apprentissage de l’écriture et de la lecture chez les élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Dans le cadre de sa thèse doctorale, elle a développé un dispositif de négociation de l’orthographe grammaticale visant l’amélioration de la réflexion métalinguistique d’élèves ayant des difficultés.