Vos dispositifs en lecture sont-ils accessibles pour tous ?
Introduction
L’engouement pour la littérature jeunesse est de plus en plus présent dans de nombreuses salles de classe du primaire. Les enseignants diversifient cette approche grâce à une multitude de dispositifs pédagogiques. Même si l’utilisation de la littérature jeunesse est intrinsèquement plus inclusive que les compréhensions de texte traditionnelles, il est primordial de veiller à ce que nos pratiques l’entourant demeurent accessibles à tous les élèves, garantissant ainsi une éducation équitable pour tous. Voici donc quelques pistes de réflexion pour que nos dispositifs soutiennent les élèves ayant des défis d’apprentissage, et tous les autres !
Des dispositifs plus inclusifs ?
Au cœur de cet article, les fondements d’une pédagogie inclusive sont abordés. Permettez-moi de vous donner deux exemples du quotidien qui illustrent bien le principe d’accessibilité, l’intention de ce court texte :
- Lorsque nous nous rendons à l’épicerie, les portes automatiques s’ouvrent pour faciliter notre entrée. Bien sûr, nous serions parfaitement capables d’ouvrir une porte classique, mais les portes automatiques ont été installées pour rendre l’accès plus aisé aux personnes en fauteuil roulant. En outre, elles se révèlent également pratiques pour les mamans avec des chariots ou même pour nous, lorsque nous sortons les bras chargés de sacs.
- Lorsque nous visionnons un film ou une vidéo, l’option des sous-titres est proposée pour rendre l’activité accessible à tous, en particulier aux personnes sourdes. En outre, elle nous profite également lorsque nous visionnons un film dans une autre langue ou lorsque nous souhaitons ne pas déranger les autres avec un volume élevé.
Ces deux exemples démontrent qu’en général, il est primordial de planifier pour tous (et non, apporter des adaptations a posteriori). Nous constatons que la planification inclusive permet de soutenir différentes personnes, y compris celles auxquelles nous n’aurions pas nécessairement pensé. Cette même approche s’applique à notre planification de la lecture. Examinons, en amont, comment concevoir nos dispositifs afin de réduire les obstacles auxquels certains élèves pourraient se heurter.
L’enseignement de stratégies (mini-leçons)
Plusieurs petits gestes peuvent être posés pour rendre l’enseignement accessible à toute la classe.
Rappelons-nous que les stratégies de lecture s’enseignent explicitement, même si on a parfois l’impression que la lecture en soi permet aux élèves de développer leurs propres stratégies. Plusieurs élèves ont besoin de recevoir un enseignement explicite, c’est-à-dire une mini-leçon comprenant un modelage par l’enseignante ainsi qu’une pratique guidée. N’oublions jamais le principe d’étayage qui vise à ce que, graduellement, l’élève devienne autonome.
Questionnons-nous : nos leçons durent-elles 10 minutes ou moins ? Une période d’enseignement de 30 minutes peut constituer un obstacle pour les élèves ayant des défis d’attention et de concentration (et bien d’autres, soyons honnêtes). Mis à part l’enseignement explicite de la stratégie de lecture, votre leçon pourrait comprendre l’activation des connaissances antérieures et des indications claires sur leur application dans un contexte réel (suivant ainsi le principe de tissage), ainsi qu’un moment de mise en pratique en dyade.
Les tableaux d’ancrage, les supports visuels (tels que les aide-mémoire ou les signets rappelant des stratégies) permettent à tous les élèves de libérer leur mémoire de travail et centrer leurs énergies sur la tâche. Au besoin, ils peuvent se référer à ces visuels pour accomplir une tâche qui respecte leur zone proximale de développement. De plus, en utilisant des représentations visuelles de petits formats, les élèves ayant des difficultés à intégrer une stratégie peuvent s’y référer, même si le tableau d’ancrage principal n’est plus affiché au mur (réduction de la stimulation visuelle pour tous).
En lecture, certaines stratégies dites classiques sont plus fréquemment enseignées que d’autres.
- Lire entre les lignes (faire des inférences)
- Comprendre le sens d’un mot inconnu
- Établir des liens entre un mot de substitution et son référent
- Relier le texte à sa propre vie
- Survoler le texte
Cependant, pour que la lecture soit accessible à tous les élèves, nous avons la responsabilité d’aller au-delà de ces stratégies et de les enseigner de manière explicite au quotidien tout au long de l’année scolaire. Il existe de nombreux ouvrages didactiques pouvant vous guider dans les choix de stratégies variées. En voici quelques-unes :
- Comprendre la morale implicite d’une histoire
- Déterminer les traits de caractère des personnages et les mettre en relation
- Se questionner au fil des pages et vérifier sa compréhension
- Prêter attention aux réactions des personnages
- Faire des liens entre différents livres
La lecture interactive
Plusieurs petits gestes peuvent être posés pour rendre la lecture d’une œuvre accessible à toute la classe.
Est-ce que tous les élèves peuvent bien voir les illustrations et les détails importants du texte ? Dans le coin lecture, tous ont-ils la même facilité à vous suivre durant la lecture ? Si ce n’est pas le cas, la caméra de document sera votre meilleure alliée pour partager l’album.
De plus, il arrive parfois, à la suite d’une lecture interactive, qu'on demande aux élèves de répondre à une question dans leur journal de lecture. Les élèves ont-ils accès au texte, aux illustrations ? Certains élèves ont besoin de se réapproprier l’histoire pour être en mesure de répondre.
Lorsque j’enseignais en classe d’adaptation scolaire, il était essentiel pour moi et mes élèves de prendre le temps de lire l’œuvre une première fois avant la lecture interactive. Cela me permettait non seulement de déterminer les bonnes questions à aborder avant, durant et à la suite de la lecture, mais surtout, de cibler le vocabulaire à travailler en amont durant la semaine afin de réduire les bris de compréhension des élèves. Par exemple, lorsque nous avons lu mon album coup de cœur, Le grand match, j’ai pris le temps de présenter l’époque durant laquelle se déroule l’histoire ainsi que certains personnages au tableau avant la lecture. Cela favorise la compréhension de tous. J’ai adapté également certains mots durant ma lecture pour éviter trop de confusion chez les élèves (Le grand match ayant un niveau de littératie assez élevé). Enfin, avant la lecture, je travaille toujours le sens de deux expressions idiomatiques présentes dans l’œuvre.
Tous ces petits gestes préparatoires permettent de réduire les interruptions pendant la lecture pour expliquer le sens de plusieurs mots ou expressions, etc. Travailler l’œuvre en amont favorise un rythme de lecture plus fluide, ce qui facilite la compréhension.
Le journal du lecteur
Le journal du lecteur est un dispositif combinant la lecture et l’écriture. De petits gestes permettent de réduire les obstacles à son utilisation.
Bien qu’on amène souvent les élèves à utiliser ce dispositif pour intégrer les dimensions de la lecture, le fait de devoir écrire peut venir biaiser nos perceptions de leurs compétences. En effet, l’écriture peut représenter un obstacle lorsque vient le temps de démontrer notre compréhension, spécialement pour les élèves dyslexiques-dysorthographiques. Dans ce cas, ceux-ci ont-ils accès à une version numérique du journal qui leur permettrait d’utiliser leurs outils technologiques ?
Nos questions en soi peuvent parfois constituer un obstacle à une bonne démonstration de la compréhension d’un texte. En proposant deux choix de questions abordant la même dimension de la lecture, on donne aux élèves la possibilité de choisir en fonction de leurs habiletés tout en s’engageant davantage dans la tâche.
Possédez-vous votre propre journal de lecture ? Cela revêt une grande importance, non seulement pour enseigner explicitement son utilisation aux élèves, mais aussi pour créer un environnement riche en littératie dans la classe. En ayant votre propre journal, vous montrez l’exemple et favorisez une culture de la lecture et de l’écriture pour tous vos élèves.
L’évaluation authentique
L’évaluation en lecture fera certainement l’objet de plusieurs autres articles à venir. Toutefois, j’aimerais partager quelques pistes de réflexion pour la rendre plus inclusive.
À quand remonte la dernière fois où l’on vous a imposé une lecture individuelle, dans un échéancier précis en vue d’un questionnaire visant à évaluer votre compréhension ? Probablement à l’école, n’est-ce pas ? Dans la vraie vie, on lit par plaisir, on choisit nos lectures et surtout, on en discute ! Les cercles de lecture ou de lecteurs sont une belle porte vers la collaboration et la construction commune de la compréhension d’une œuvre. Lorsque les élèves ont en plus l’occasion de choisir l’œuvre qui les intéresse, ils sont évidemment plus motivés et vivent une expérience de lecture plus authentique.
Afin de favoriser l’équité dans la démonstration des compétences en lecture, pourquoi ne pas varier les types d’évaluations proposées aux élèves ?
- À l’écrit (parfois défavorable aux élèves ayant des difficultés d’écriture ou de motricité)
L’élève peut répondre à une question de compréhension, d’interprétation, de réaction ou d’appréciation à l’écrit à la suite d’une lecture. - À l’oral (parfois défavorable aux élèves ayant des difficultés langagières)
L’élève peut répondre à une question à l’oral lors d’un entretien de lecture ou encore, l’enseignante observe les élèves exprimer leur appréciation d’une œuvre lors du cercle de lecteurs. - Par le dessin ou un autre moyen d’expression
L’élève peut illustrer le passage l’ayant le plus marqué ou la suite de l’histoire telle qu’il l’imagine.
Le papier n’est donc pas toujours indispensable à l’évaluation. Lorsque c’est le cas, il n’est pas non plus nécessaire que le questionnaire soit composé d’un grand nombre de questions. Il est tout à fait légitime d’évaluer une dimension spécifique, ce qui permet aux élèves ayant des difficultés d’attention de se centrer sur une tâche plus simple.
Pour aller plus loin
- Le blogue pédagogique : atelierecritureprimaire.com
- Le blogue pédagogique : enseignerlitteraturejeunesse.com
- Les applications pédagogiques de la conception universelle de l’apprentissage https://pcua.ca/
- Serravallo, J. Le grand livre des stratégies de lecture : 256 stratégies pour les élèves de 5 à 12 ans. (2018). Chenelière éducation
- Innovation Sainte-Anne — La pédagogie inclusive : conception universelle de l’apprentissage
- Dupin de Saint-André, M., Montésinos-Gelet, I et Tremblay, O., La lecture et l’écriture : fondements et pratiques 2e et 3e cycles du primaire. (2022). Chenelière éducation
- Serravallo, J. Le grand livre des stratégies de lecture : 256 stratégies pour les élèves de 5 à 12 ans. (2018). Chenelière éducation
Un peu plus sur l'autrice
Détentrice d’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, Marie-Philippe a travaillé en classes spécialisées ainsi qu’en orthopédagogie en milieux scolaires et privés. Présentement gestionnaire et créatrice de contenus à l’Institut des troubles d’apprentissage du Québec, elle satisfait sa curiosité professionnelle en collaborant avec des experts et pédagogues passionnés. Consultante pour l’entreprise ALEO VR, Marie-Philippe conçoit des jeux visant à rééduquer les troubles spécifiques en lecture grâce à la réalité virtuelle. Elle a également fondé l’entreprise ScolAide qui vise à outiller le plus grand nombre d’enseignants et d’élèves en difficulté par le biais de conférences, consultations, capsules vidéos et documentation en ligne. Passionnée de littérature jeunesse et récipiendaire du prix Étincelle de reconnaissance en lecture du MEES, elle a complété un microprogramme en didactique cognitive des difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture à l’UQAM et collabore au blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse.